L’IA, nouveau cauchemar des influenceurs

Elles s’appellent Aitana Lopez ou Maia Lima. Elles, ce sont des influenceuses virtuelles, 100% intelligence artificielle, qui sont aujourd’hui castées pour des campagnes bien réelles. Alors que les influenceurs traditionnels sont dénoncés pour leurs pratiques pas toujours claires et leur comportement pas toujours exemplaire, risquent-ils de se faire remplacer pour de bon par des créations sur-mesure ?

 

Flashback sur les influenceurs 

Cela fait des années qu’on les entend (ils parlent fort) vanter les mérites de produits dont on n’avait encore jamais entendu parler, ou nous proposer des cours pour “gagner un salaire à 6 chiffres” en se tournant les pouces (ou presque). Les influenceurs, pour la plupart issus d’émissions de télé-réalité, se sont imposés comme des modèles pour les jeunes générations avides de succès et de gloire. Andy Warhol l’avait prédit, mais ses 15 minutes de célébrité se sont dangereusement étendues.

Mais attention : parmi lesdits influenceurs, il y a aussi les créateurs de contenu. Eux ne surfent pas sur une image construite à grand renfort d’éclats dans Les Anges de la télé-réalité, mais créent du contenu, le travaillent, le modèlent, sur un sujet qu’ils maîtrisent. Il y a la mode, la beauté, mais aussi l’engagement environnemental ou la déconsommation. Comme quoi, tout n’est pas superficiel. Ceux-là, pour le moment, ne sont pas concernés par cet article (mais à la vitesse où l’IA se développe, ils vont devoir surveiller leurs arrières).

Retour sur nos influenceurs souvent expats à Dubaï : pectoraux dehors, seins haut perchés, fesses remodelées et bouches regonflées, ils se mettent en scène pour faire rêver leur communauté. Et comme le rêve fait vendre, les marques ont tôt fait de miser sur eux pour promouvoir leurs produits. Un business juteux, jusqu’à ce que certains y voient une arnaque parfois dangereuse. Booba est entré en guerre contre eux, le gouvernement a suivi pour éviter certaines dérives.

 

Les nouveaux visages de l’influence

L’histoire aurait pu se poursuivre ad vitam aeternam : des candidats de télé-réalité sans cesse renouvelés, la surenchère de la provoc (cf. Frenchie Shore, un comble de culture..!) et le besoin constant de se rendre visible auprès du public pavaient le chemin pour assurer l’avenir de ce modèle. Sauf que…

L’intelligence artificielle s’est développée à vitesse grand V, ouvrant la voie à d’autres modèles. Moins capricieux, moins gourmands, moins instables, moins trash aussi (à moins qu’on leur demande). Avec eux, pas de risque d’écart : tout est sous contrôle. Ces modèles si “parfaits” sont conçus sur-mesure ou proposés tels quels aux marques. Ces modèles, ce sont les influenceurs créés par IA.

Pour mieux comprendre, il suffit d’aller sur les outils à disposition en ligne : entrez une requête (prompt) et créez le personnage qui vous correspond. Alors, attention, le prompting est un métier en devenir : tout le monde ne sait pas comment donner les informations nécessaires pour nourrir l’IA et obtenir ce qu’on veut. Mais quand on sait s’y prendre, on peut créer un personnage et le mettre en scène comme on le souhaite : sur une plage, à la montagne, dans une piscine ou une voiture de sport. Les possibilités sont infinies, seule l’imagination a une limite. 

Nous voilà donc avec des petits malins qui ont flairé le filon. Si les influenceurs virtuels existent déjà depuis un moment (par exemple Lil Miquela), les influenceurs IA sont une nouveauté qui risque fort de se développer. C’est le pari de The Clueless, agence espagnole à l’origine d’Aitana Lopez et Maia Lima. L’une et l’autre ont un style bien à elles, une histoire, des valeurs, des prises de position. Chacune peut être “embauchée” par une marque pour promouvoir ses produits. Aitana Lopez revendique plus de 145k followers sur Instagram, quand Maia Lima en a un peu plus de 6000. Leur succès (avec peu de publications) représente une opportunité évidente.

Vraie ou fausse bonne idée ?

Bien entendu, les avantages des influenceurs générés par IA sont nombreux : pas de droit du travail à respecter, pas de danger réel, donc on peut les mettre dans toutes les situations, pas de sautes d’humeur, pas de dérapage… Pourquoi hésiter ?

Pourtant, ils posent aussi des questions. Notamment quand on regarde la plastique de ces modèles. Aitana Lopez et Maia Lima sont toutes les deux blanches, jeunes, belles, avec un corps de Barbie. Visiblement, la mouvance body positive n’est pas arrivée jusqu’à l’agence The Clueless… On se demande donc quel pourrait être l’impact sur des jeunes déjà traumatisés par les réseaux sociaux (oui, oui, traumatisés : les études montrant l’impact négatif des réseaux sociaux sur l’estime de soi sont pléthore). Comment s’accepter avec trois kilos en trop ou un nez imparfait quand les canons de beauté, déjà très exigeants, sont désormais irréalistes ? Même Barbie s’est diversifiée avec des couleurs, silhouettes et styles différents…

Par ailleurs, des études montrent que nous serions moins enclins à croire une information issue de l’IA. Cela s’étend-il aux publicités et publications mettant en scène un personnage créé par IA ? En faisant le pari de ces nouveaux influenceurs, les marques ne prennent-elles pas un risque qui pourrait leur coûter cher ? Le succès d’Aitana Lopez tendrait à laisser penser que non. Mais alors, quid de la notion de transparence, de la volonté d’authenticité brandie par les consommateurs, toutes générations confondues (mais surtout les jeunes)..?

 

L’IA fait partie de nos vies et ouvre les portes d’un futur désirable dans lequel tout est possible. Et qui n’a pas envie que tout soit possible ? Une maison en chocolat qui ne fond jamais, un ciel rose lorsque le soleil est au zénith, de la neige pour Noël (promis, ça existait jusque dans les années 90), un corps jeune et svelte pour toujours… Demain, nous serons représentés par un avatar plus vrai que nature, mais qui gommera nos imperfections. Si le rêve que nous vendrons les marques a un goût d’artificiel, alors peut-être que la singularité de la rue reprendra sa place.