Le courant des influenceurs-formateurs : du bullshit en mode leçon de vie

Ils sont quelques-uns à afficher leur succès sur les réseaux sociaux, clamant à qui veut l’entendre qu’ils détiennent LE secret pour gagner un salaire à six chiffres. Et ce secret, ils veulent le partager avec leur audience. Avec nous, pauvres mortels qui n’avons aucune conscience des opportunités à côté desquelles nous passons. Mais heureusement, leur formation à quelques centaines ou milliers d’euros va changer nos vies…

“La question elle est vite répondue”

Cette baseline, nombreux la connaissent… C’est la catch phrase de JP Fanguin, influenceur “businessman” a fait son chemin en s’exhibant au volant de voitures de sport ou devant des restaurants réputés. A première vue, avec son costume, il “présente bien” et peut donner l’illusion d’être un entrepreneur à succès. Mais quand on gratte un peu la surface… c’est une toute autre réalité qui apparaît ! 

Représentatif de toute un groupe de néo-gourous de l’entrepreneuriat, il ne déroge pas à une règle simple : s’afficher avec tous les codes du succès pour mieux vendre des formations à des personnes qui pensent que oui, on peut gagner des millions sans lever le petit doigt ou presque…

Ils sont nombreux comme lui, plus ou moins connus, plus ou moins jeunes, avec une expérience plus ou moins fantasmée. Certains lancent leur podcast où ils se passent de la pommade les uns les autres pour combiner leurs efforts quand d’autres rédigent des articles sur LinkedIn ou misent sur les vidéos sur Instagram, voire TikTok (il n’y a pas d’âge pour avoir de l’ambition). Si le contenu peut paraître séduisant, il représente aussi une belle arnaque.

La formation en ligne : nouvel eldorado

Inutile de se demander pourquoi la formation en ligne semble être le nouveau dada des influenceurs : le marché est en constante augmentation et la formation professionnelle, notamment prise en charge par l’Etat, représente plusieurs milliards d’euros. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à encourager leur audience à utiliser le CPF (compte personnel de formation) quitte à le détourner “un peu” de son objectif premier, comme l’explique la vidéo ci-dessous.

Des formations pour devenir riche 

Alors que Booba est parti en croisade contre les influvoleurs, le business reste très lucratif et certains ne s’encombrent même pas du CPF (trop dangereux ?), misant sur leur notoriété pour conquérir de nouveaux apprenants. C’est le cas d’Oussama Ammar et Yomi Denzel qui, a grands renforts de webinaires gratuits dans lesquels ils ne disent rien de vraiment nouveau mais présentent leur formation qui va “révéler le secret qui va changer leur vie et leur apporter succès et richesse”. Rien que ça..! 

La promesse est certes séduisante, mais… Qu’y a-t-il de concret dans ces formations ? Le contenu est-il seulement de qualité ? Parce qu’expliquer l’IA (par exemple) à un public de néophytes demande d’en connaître un rayon, pas seulement le concept au sens large. Il faut être en mesure d’expliquer un algorithme, les différentes technos, mais aussi les risques… Pas si facile ! 

Un écosystème en cercle fermé

C’est aussi un petit cercle qui s’auto-entretient avec du passage de pommade de l’un à l’autre. Si le podcast d’Oussama et Yomi fait la part belle à la misogynie, cela n’empêche pas Oussama d’inviter Margo Cunego dans “A ta santé”. Cette dernière vend des formations pour aider les femmes à se lancer dans l’entrepreneuriat, se mettant en scène dans des palaces ou au bord d’une piscine et expliquant qu’elle aurait pu accepter un bon CDI mais préfère sa vie actuelle. On n’en doute pas, mais… en creusant un peu (encore), on se dit qu’elle pourrait utiliser ses revenus à six chiffres par mois pour apprendre à écrire (ou alors c’est un choix éditorial d’écrire “acceuil”) ou changer de domicile (notre petit doigt nous a dit qu’on n’a pas grand-chose à lui envier). 

Car la réalité, c’est qu’aucun de ces influenceurs-formateurs ne publie ses chiffres. Oui, il y a des effets d’annonce, des chiffres avancés par ces entrepreneurs, mais… aucune preuve. Où sont les bilans ? Les fiches d’imposition ? Parce qu’à partir du moment où on partage ses revenus, autant être 100% transparent. A moins que… Rien n’empêche le “fake it ‘til you make it”, surtout si c’est le personnage qu’on s’est construit. Dès lors, c’est open bar pour séduire des personnes qui rêvent de s’en sortir, quels que soient leur âge, leur situation personnelle ou leur niveau d’études. Le rêve est un produit comme un autre ; achetez-en une dose !

La voie royale vers le succès ?

Mais reprenons les bases. Le succès se définit comme un “ résultat heureux obtenu dans une entreprise, un travail, une épreuve sportive, etc.” (Larousse). C’est aussi une manière d’être, de séduire et susciter l’envie chez les autres. Ainsi, avoir du succès dans le business est aussi bien une affaire de réussite que de personnalité (charisme, séduction) qui “en impose”. Avec le succès viennent l’argent, la vie facile, le désir dans les yeux des autres. Quel programme !

Et à l’époque de la télé-réalité qui a biberonné des générations d’influenceurs prouvant qu’on peut réussir en montrant ses abdos ou ses seins, le succès en tant que résultat d’un réel travail est éclipsé par le succès conféré par l’audience, celui-là même qui permet à des influenceurs pas toujours très cortiqués (de prime abord, car ils se débrouillent quand même très bien pour profiter des avantages fiscaux de Dubaï tout en se faisant du business en France) de devenir des exemples de réussite.

La distinction selon Bourdieu 

Avant de dénigrer ce rapport au succès, rappelons que Bourdieu a introduit le concept de distinction. La distinction apparaît lorsqu’on identifie un style commun à un ensemble d’individus. Ainsi, des ouvriers auront des caractéristiques et usages similaires tant dans leur façon de s’habiller que de se nourrir ou dans leur rapport à l’art. De la même façon, la bourgeoisie aura d’autres codes qui se reflètent dans leur façon de consommer, de se présenter ou de consommer la culture (quand on a un certain standing, on ne regarde pas “Les anges de la télé-réalité”). Ainsi, la classe à laquelle nous appartenons, guide nos comportements, et la richesse n’est pas représentée que par la somme disponible sur un compte bancaire ou les signes extérieurs, mais aussi par le capital culturel, social et symbolique. Se montrer au volant d’une voiture de luxe n’est donc pas synonyme de réussite et ces formations s’adressent à un certain type de personnes. CQFD. 

Les singularités selon Reckwitz

De son côté, Andreas Reckwitz postule que les sociétés actuelles valorisent plus la singularité, le fait d’être soi-même, de rester fidèle à ses propres codes, envies, visions, qu’un modèle standardisé où les mêmes normes s’imposent. Nous le voyons avec l’éclosion de nouveaux influenceurs qui expriment leur désir de conserver leurs valeurs, de trouver un job qui ne les mettra pas en délicatesse avec leur conscience sociale et écologique, et de proposer un autre chemin. Idéalistes ? Ou au contraire radicalement avant-gardistes ? Les livres de développement personnel encouragent depuis de longues années à rester soi-même, il n’est donc pas étonnant que des individus qui refusent de se conformer à un modèle imposé qui ne leur correspond pas émergent.

Inutile de s’appeler Madame Soleil pour anticiper les formations de demain (qui apparaissent déjà) : “Comment se réaliser et réussir sans se trahir ?” Si les influenceurs d’aujourd’hui vendent le luxe clinquant, les vacances de milliardaires et les salaires mensuels à +100.000€, la nouvelle vague risque fort de prendre le contre-pied. Pourtant, si l’objectif final est le même, cela pose une autre question : si nous pouvons tous devenir riches grâce à ces super formations, alors… nous serons tous égaux, non ? Plus personne ne sera “plus riche”, “plus malin”, “plus successful”… Nous voilà passés du côté du socialisme : égalité des chances et des revenus : “si je peux le faire, alors toi aussi”. 

L’égalitarisme de Tocqueville face au singularités

L’égalité est-elle la même chose que l’équité ? On aimerait le croire, mais penser que nous sommes tous pareils est une erreur. D’abord parce que la diversité est source de richesse. Ensuite, de façon plus terre à terre, parce que nous sommes tous différents et qu’il faut bien l’accepter : certains sont grands, d’autres petits, il y en a qui ont la bosse des maths quand d’autres ont une belle plume. Si nous étions tous identiques et que nous avions tous les mêmes compétences, il n’y aurait plus aucune singularité, et plus de modèles. Pourquoi admirer quelqu’un qui est semblable en tous points à ce que je suis ? Et hop ! Le concept-même d’influenceur tombe à l’eau, en même temps que leur business-model. 

En réalité, si nous lissons les différences dans une recherche d’égalité, nous perdons la valeur intrinsèque de chacun et nous stigmatisons joyeusement ceux qui ne sont pas “câblés pareil” (merci, Tocqueville). Loin d’être une critique, ce postulat met juste en avant un fait très simple : nous n’avons pas tous les mêmes compétences. Dans Atomic Habits, James Clear explique comment la génétique et des caractéristiques personnelles peuvent conférer un avantage dans une situation mais représenter un désavantage dans une autre. 

Traduction : une stratégie peut effectivement fonctionner pour un influenceur qui a déjà une communauté, mais être une perte de temps pour une personne lambda qui n’est connue de personne. Finalement, ces formations sont-elles autre chose qu’un auto-éloge pour saluer une réussite toute relative..?

Le nombre croissant de formations estampillées Qualiopi délivrées par des influenceurs est alarmant. Alarmant car au mieux elles vendent du rêve sans grande conséquence, au pire elles profitent de fans un peu perdus qui vont y mettre leurs économies comme ils pourraient aller les jouer au casino. S’il existait une formule magique pour gagner des millions en se tournant les pouces (ou presque), il n’y aurait plus de SDF ; si les recettes miracles fonctionnaient, les témoins qui racontent à quel point la formation a changé leur vie vivraient dans des palaces. Or, ces formations se limitent à vendre du rêve, des moyens de ne pas payer plein pot les outils, des hacks pour profiter d’offres. Jamais la valeur travail n’est mise en avant. A croire qu’en 2023, travailler c’est mal…

Et pour conclure notre article, un petit audio d’une influenceuse qui relance par téléphone un dimanche soir (oui, oui), pour encourager à suivre sa conférence. Elle y explique, comme tous les influenceurs, que le logiciel qu’elle utilise limite le nombre de places, mais Oussama et Yomi l’avaient déjà fait avant elle, pour finir avec… 70.000 participants ! 

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